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Ami.e.s De Lire bonjour,

Si vous êtes pressé, je vous invite à découvrir La Note De Lire Délire du jour.

Sinon, bienvenue dans notre rubrique Lu et Approuvé.

Avant de toute chose, je tiens à remercier chaleureusement NetGalley et les éditions Métailié pour cette découverte éditoriale remarquable.

Aujourd'hui nous allons parler du roman intitulé La dernière joie du monde de Bernardo Carvalho parue en janvier 2024 aux éditions Métailier, 128 pages.



PRÉSENTATION DE L'ÉDITEUR


Son mari la quitte à l’annonce du confinement. Elle fait l’amour avec un étudiant inconnu et se retrouve enceinte et heureuse de l’être. L’enfant grandit, puis elle décide de traverser le pays pour consulter un voyant. Un voyage initiatique surprenant.

Récit de voyage et court roman d’apprentissage, ce texte est une charade sur la façon de lire et d’interpréter le monde, sur la différence entre la nature de la mémoire et l’imagination. Un court texte sur la fragilité humaine devant un monde qui n’offre plus de réponse.


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À l'ombre d'un jatobas, en attendant l'oracle ... 


Elle, romancière et sociologue, a eu un bébé à la suite de ce qu'on appelle sans pudeur "un coup d'un soir", une aventure sans lendemain, avec un étudiant.

"C’étaient les mêmes qui avant le confinement criaient : “Je veux retrouver mon pays !” ou “Je veux retrouver mon argent !”. Avec ces slogans, ils endossaient un projet de pays qui s’appuyait justement sur l’appropriation de la dernière joie du monde."

Qui fut cet étudiant ? De quelle Dernière joie du monde a-t-il parlé ? Est-ce qu'il est toujours en vie ? Malgré l'ère de l'hyperconnexion et des réseaux sociaux, il existe encore trop de questions qui nécessitent potentiellement ... la consultation d'un voyant.

Ce roman court est le récit du voyage de la protagoniste, dont on ne saura au final jamais le nom, à la recherche du géniteur de son fils, né pendant la crise du COVID-19.

Les péripéties se déroulent au pays des fazenda, des quilombo et des jatobas, à l'époque d'un certain Jair Bolsonaro au pouvoir, dont la gestion de crise a inspiré bien des interrogations... Et ce texte.

 

Pour ma part,


Nébuleux, énigmatique, inclassable.

Une lecture avec plus d'interrogations à l'issue qu'à l'entrée. 

On commence par un drame romantique : une mère célibataire à la recherche du géniteur de son fils.

Si on est un lecteur non averti, on risque d'être surpris.e par la tournure du récit : en effet, cela devient original lorsqu'elle décide de consulter un oracle, oui vous avez bien lu : elle va traverser le pays pour interroger Le Survivant doté du pouvoir de la clairvoyance ! 

Et c'est au fil de ses rencontres, en cheminant avec son fils de deux ans à ses côtés, qu'elle explorera la fragilité humaine dans un monde déphasé, à court de réponses. 

Ce texte est un pot-pourri de tous les débats d'actualité : la ségrégation raciale au Brésil, l'ésotérisme, le mysticisme, la gestion de la crise du COVID-19, la dégénérescence pathologique de la mémoire, j'en passe et des meilleures, vous découvrirez tout ça en lisant le roman. 

Ce texte est remarquable par une attitude philosophique et littéraire qui cherche à questionner les évidences et à affirmer sa singularité, aperçu :

"Ce monde que vous regrettez n’existe plus. C’est dur à avaler, parce qu’on ne fait que passer, on ne sait pas encore ce qui va arriver. On veut voir l’avenir, mais maintenant l’avenir est le présent, ce passage interminable. J’imagine à quel point il doit être difficile de comprendre cela à votre âge, accroché que vous êtes au passé, comme la victime à son bourreau, inconsciemment bien sûr, et qui suis-je pour vous expliquer cela, mais votre réputation n’a plus d’intérêt. Ce monde est plus bête ? Peut-être. Nous sommes plus médiocres ? C’est possible. Mais c’est le commencement d’un temps nouveau et tout ce que vous avez à dire fait partie du passé."

C'est la première fois que je lis l'auteur et je retiendrai de son écriture une certaine conception du temps et une vision inspirée de la philosophie de Nietzsche, à mon humble sens.

La Dernière joie du monde est absurde, dans le sens où la trame du récit échappe à toute logique linéaire; à mon avis une bonne pièce de théâtre. 

Je recommande aux amatrices et amateurs de textes délirants mais empreints de philosophie contestataire.


Quelques citations :


"Il dit que, pressentant une fin irrémédiable, ils (toujours sans les nommer) avaient décidé d’arracher au monde sa dernière joie. Cette joie de destruction, qu’ils avaient décidé de savourer seuls."


"Les raisons ne manquaient pas de détester et de combattre les individus qui avaient décidé de s’emparer de “la dernière joie du monde” à leur profit seul et exclusif et dont le nom était connu de tous, de leurs victimes directes et indirectes, mais qui arriva faute de pistes ou d’un groupe politique clandestin à qui attribuer officiellement la responsabilité, dans une société où la preuve à charge avait depuis longtemps cessé de se mesurer à l’accusation, il y eut toujours des étudiants pour se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment et servir ainsi de boucs émissaires."


"C’étaient les mêmes qui avant le confinement criaient : “Je veux retrouver mon pays !” ou “Je veux retrouver mon argent !”. Avec ces slogans, ils endossaient un projet de pays qui s’appuyait justement sur l’appropriation de la dernière joie du monde."

"Avant de perdre complètement la tête et partir comme Don Quichotte à travers le monde, en voyant des choses qui n’existaient pas (ou qui ne se révélaient qu’à travers le prisme de la démence), elle se mit à raconter sa vie passée à l’enfant. Et avec une plus grande détermination au cours de ce voyage qui au fond avait à voir avec l’insolvabilité de ce qui était perdu, une absence qui devait être transfigurée. Elle lui raconta tout ce qu’elle avait vécu et perdu, pour le jour où elle ne se souviendrait plus ou qu’elle n’existerait plus et qu’il aurait alors besoin de la mémoire de sa mère. Sa mémoire serait aussi la sienne. Bien sûr que tout n’était pas qu’altruisme dans l’amour de cette narrative symbiotique, et pas seulement parce qu’il ne pouvait pas répondre : quand elle ne se souviendrait plus, il se souviendrait pour elle . Et même s’il ne comprenait ni n’enregistrait rien de ce qu’elle disait là, sur la route, elle comptait malgré tout sur la possibilité que quelques clés de ce récit seraient à l’abri dans le subconscient de l’enfant et qu’elles lui serviraient à ouvrir la boîte des souvenirs quand il penserait à sa mère."

"Dans le confinement, tout est comme avant, sauf que non. Tout semble légèrement altéré, mais sans le sentiment du passage du temps, et c’est là, dans cet état morbide, que les gens pensent, ressentent et se souviennent comme s’ils vivaient dans un conte."

"Elle disait tout cela à son fils, pendant qu’elle conduisait vers l’intérieur du pays, en supposant que d’une façon ou d’une autre il pourrait garder en lui ces mots, même sans les comprendre. Elle voulait qu’il apprenne l’importance des pactes et que cela reste gravé dans le souvenir de ce voyage."

"– Et que diable fait une sociologue dans ces parages ? 
– Je voyage avec mon fils. L’écrivain se tourna vers l’enfant. 
– Nous allons consulter un voyant, dit-elle. 
– Un voyant ? 
– C’est un homme qui prédit l’avenir."

"J’ai donc essayé d’inventer un monde sans imagination, peuplé de lecteurs obsédés par la ressemblance entre les personnages et les êtres réels. Des lecteurs qui n’apprécieraient dans les livres que ce qu’ils retrouveraient de leur passé, ce qui confirmerait leur goût et qui leur ferait se rappeler ce qu’ils ont déjà lu et pensé auparavant."


"Il y a déjà un nègre là est la garantie perverse que le racisme ne soit jamais visible, même pour ceux qui en subissent des conséquences. Cette phrase est le sphinx de notre misère. Le survivant n’est pas un nègre, vous comprenez ? Avant d’être un nègre il est le comptable de la vieille femme, l’intendant, le policier noir qui tue des noirs. Mais il est quand même noir quand cela les regarde, eux qui ne sont pas noirs. Deux poids, deux mesures."

"Ce monde que vous regrettez n’existe plus. C’est dur à avaler, parce qu’on ne fait que passer, on ne sait pas encore ce qui va arriver. On veut voir l’avenir, mais maintenant l’avenir est le présent, ce passage interminable. J’imagine à quel point il doit être difficile de comprendre cela à votre âge, accroché que vous êtes au passé, comme la victime à son bourreau, inconsciemment bien sûr, et qui suis-je pour vous expliquer cela, mais votre réputation n’a plus d’intérêt. Ce monde est plus bête ? Peut-être. Nous sommes plus médiocres ? C’est possible. Mais c’est le commencement d’un temps nouveau et tout ce que vous avez à dire fait partie du passé."

"Avec le confinement, tout changea. Ils comprirent que le monde où ils avaient vécu n’existait peut-être pas. Ce n’était pas qu’il avait cessé d’exister ; peut-être n’avait-il jamais existé. D’un seul coup, le passé n’était plus qu’un rêve ou un cauchemar, cela dépendait de qui rêvait et de ce qui avait été perdu dans cet entre-temps."

"Plus le visiteur se montrait réfractaire, plus il passerait de temps à attendre. Il fallait les briser. Ils voulaient entendre l’avenir, tout en sachant que l’avenir ne se dit pas. L’attente était la goutte d’alcool servie à des alcooliques qui se croyaient guéris. Ils étaient reçus quand, aux limites de l’exaspération, ils finissaient par perdre la raison sur laquelle s’appuyer. Quand ils ne se rendaient plus compte qu’ils étaient devenus fous d’espoir. Et c’est là qu’on pouvait leur faire croire n’importe quoi."


"– Et alors ? l’interrompit-elle à nouveau, sans dissimuler son agacement croissant. Elle était là pour savoir ce qu’était devenu le père de l’enfant qui jouait à ses pieds. Elle n’avait pas la patience d’écouter ces digressions et ce suspense. Elle voulait qu’il arrive une bonne fois pour toutes à la fin de l’histoire."


"Il était amusant de se dire que pour comprendre ce qui était arrivé, ils avaient tous les deux besoin de consulter l’avenir."


"Elle avait sans doute perdu sa présence d’esprit , mais pas le sentiment d’échec qui la tourmentait depuis toujours, le sentiment de ne pas avoir réussi à faire de sa vie ce dont elle avait rêvé."

"Elle avait été une femme essentiellement dominée par la colère. Elle n’avait probablement pas eu le choix, cela n’avait sans doute pas pu être autrement. Il lui fallait alors se punir, ignorant son entourage. Elle avait toujours vu dans son fils une succursale d’elle-même. En le provoquant, c’était elle, en vérité, qu’elle visait pour ses propres erreurs. Et en essayant de le faire correspondre à un idéal qui n’était pas celui qu’il avait choisi, elle lui demandait de comprendre son échec à elle. Dans cette relation, il n’y avait évidemment de sortie pour aucun des deux. L’éloignement leur avait permis de maintenir une certaine distance, ce qu’elle supportait moins bien que lui, blessée par cet échec supplémentaire."

"De même que la succession de phrases dans un texte simple ne lui disait plus rien, elle semblait ne pas comprendre non plus les commentaires animés des journalistes de la télévision. Elle ne percevait que l’intensité des débats, rien d’autre. Le monde s’écroulait, et elle avec. Le monde s’écroulait et ses mouvements aussi devenaient plus lents, plus visqueux, enveloppés dans la même bouillie incohérente que ce qui arrivait à l’extérieur à son insu. Elle arrivait à comprendre l’instant , la nouvelle, mais non la continuité, ses développements. Elle voulait arrêter cette dérive qui la terrorisait, parce qu’elle l’avalait et l’immobilisait, en même temps qu’elle l’excluait."

"L’attente amène les visiteurs à trouver ce qu’ils sont venus chercher, permet qu’ils voient au-delà de ce qu’ils sont en train de voir, qu’ils écoutent ce qu’ils veulent entendre. La figure hiératique de l’homme noir, seul au fond de la salle, vêtu de blanc, ajoutait à la qualité générale de l’ambiance, comme s’ils étaient en train d’arriver au paradis et qu’ils étaient reçus par Dieu."

Bernard Carvalho in La Dernière joie du monde, Métaillié, 2024.

Chapitres


I. La fin du monde tel qu'ils l'avaient connu
II. "Que cherches- tu à voir dans l'avenir ?"
III. Le survivant 
IV. Sous les jatobas 
V. Si vous considérez qu'une nuit c'est connaître 
VI. L' irresponsable
VII. Le premier mot

Pour conclure,


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+ Le bon point : Ce roman court est le récit du voyage de la protagoniste, une sociologue et romancière dont on ne saura au final jamais le nom, qui décide de consulter un oracle, à la recherche du géniteur de son fils, né pendant la crise du COVID-19.

- Le moins bon point: Ségrégation raciale au Brésil, ésotérisme, gestion de la crise du COVID-19... Que de thèmes controverses et palpitants mais noyés dans un texte nébuleux, énigmatique, inclassable. Une lecture avec plus d'interrogations à la sortie qu'à l'entrée. 


* La note De Lire Délire : 15/20



LE SAVIEZ VOUS ?

Bernardo Carvalho est un romancier, journaliste et traducteur brésilien, né en 1960 à Rio de Janeiro et vivant à São Paulo. Sa bibliographie comprend plus de dix romans, dont Neuf nuits, Mongolie, Le soleil se couche à São Paulo, Ta mère, Reproduction. La dernière joie du monde est son dernier roman en date.

Et vous, avez-vous déjà lu La dernière joie du monde de Bernardo Carvalho ?

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Littérairement vôtre,

Aïkà