Lu & Approuvé : Le violon d'Adrien de Gary Victor



Temps de lecture estimé : 2 minutes_

Ami.e.s De Lire bonjour,


Bienvenue dans notre rubrique Lu et Approuvé.

Aujourd'hui nous allons parler du roman intitulé Le violon d'Adrien de Gary Victor, paru en août 2023 aux éditions Mémoire d'encrier, 192 pages.

Go!


PRÉSENTATION DE L'ÉDITEUR

Une enfance haïtienne

Le violon d’Adrien raconte l’histoire d’un enfant qui rêve de devenir violoniste. Rite de passage à la vie d’adulte pour Adrien qui, pas après pas, et bien malgré lui, trahit famille, amis, valeurs pour survivre dans un pays où l’on tue les rêves les plus humbles. Les personnages, dans cette Haïti des années 1970, ont face à un quotidien pour le moins chaotique.

Selon le romancier Gary Victor : « Ce récit est une douleur d’enfance que j’ai longtemps enfouie en moi. Ce violon est un fantasme, enfant, mon père ne pouvait pas acheter le violon dont je rêvais. J’avais un tel amour de la musique que j’étais déçu et malade. Plus de cinquante ans plus tard, me voici revenu à cette douleur, et à ce manque qui m’a façonné. »

Un violon coûte que coûte ou la fable de l'opiniâtreté 


Haïti, les années 70.

Adrien Chanson est un collégien exemplaire et méritant qui fait la fierté de sa mère, Marthe, couturière informelle dans un modeste quartier d'Haïti.

Cette dernière, pour l'encourager à dépasser sa condition, décide d'inscrire son fils unique  au cours de musique de Monsieur Benjamin, le violoniste virtuose, une célébrité locale. 

C'est ainsi, après plusieurs mois d'études et un concert de fin de session couronné de succès, que l'adolescent se découvre un don, une passion voir une obsession pour le violon.

Mais un jour, Monsieur Benjamin annonce son départ pour une tournée, emportant avec lui le matériel pédagogique. 

Adrien se retrouve sans violon. Et sans instrument en sa possession pour la rentrée, il ne pourra pas continuer les cours.

Adrien n'a plus qu'un seul objectif : avoir un violon coûte que coûte.

Pour ma part,


Une construction captivante et originale.

D'après la photo du petit garçon en première de couverture, il y a bien de quoi s'attendre à une autobiographie.

Effectivement, le récit est écrit à la première personne et nous raconte la jeunesse du narrateur, Adrien , dans son quotidien d'infortune : la plus grande pauvreté, l'oppression exercée par la dictature présidentielle et l'incursion des "tontons macoutes" à la moindre opposition et, pire encore, la jalousie ainsi que le harcèlement de ses camarades apprentis violonistes.

On  glisse dans la quête initiatique d'un jeune Adrien, démuni mais doué et passionné, qui n'a d'autre que son opiniâtreté et sa débrouille pour atteindre son objectif. Chemin faisant, il fera des rencontres et des choix déterminants.

Et à ma grande surprise, tout part en vrille avec l'intervention du surnaturel puis, contre toute attente, le récit devient un thriller captivant jusqu'au grand final. Sur ce, je n'en dis pas plus, vous le découvrirez en lisant le livre.

En tout cas, j'ai adoré ma lecture : captivante et instructive, on ne s'ennuie jamais. Les descriptions sont réalistes, la plume est riche et utilise à l'occasion le créole haïtien en guise d'illustration pour plus d'authenticité. Le récit est fluide, un savant équilibre entre découverte culturelle et leçon de vie. 

Car il y a beaucoup d'aspects de la culture haïtienne à observer ici notamment les croyances locales, que je retiendrai à mon sens comme un syncrétisme religieux : un "mix" entre le christianisme évangélique, la phytothérapie et la sorcellerie vaudou héritée du fin fond des âges. 

La trame du roman se déroule dans une période problématique où le pays est gangréné par la tyrannie opprimante et la corruption. Le narrateur y dépeint la pauvreté et l'insécurité d'une société au bord de l'implosion où un apprenti violoniste n'y a pas sa place :

« Le violon, c'est pour la musique savante, Adrien. Notre pays est un bateau qui sombre. Il sombrera longtemps avant qu'une main peut-être divine ne le remette à flot. Pendant qu'il sombre, nos femmes et nos hommes ne pensent qu'aux choses les plus triviales qui soient. Je te plains. Tu es perdu dans un monde qui n'est pas le tien. Un petit Haïtien qui rêve de devenir un virtuose du violon ! »

Je n'ai qu'un seul mot pour ce roman de tous les genres riche en actions et en émotions : inclassable.

Coup de cœur.


Quelques citations :


"Nous étions captivés par les explications de Monsieur Benjamin. Il rayonnait de joie pendant qu'il parlait. Il maniait son violon avec grâce et respect. On comprenait que c'était pour lui la chose la plus précieuse au monde, car cet instrument est capable de réagir à l'affection ou à l'hostilité qu'on lui témoigne. Quand il eut terminé son exposé qui dura une bonne heure sans que nous nous lassions de l'écouter, il nous gratifia de l'exécution d'un morceau."


"Maintenant, mettez-vous tous debout. Apprendre à bien tenir son violon est chose essentielle. Mal le tenir est un manque de respect envers cet instrument qui est un don du ciel à l'homme. Vous devez apprendre à ne faire qu'un avec votre violon. Il ne faut pas qu'il soit une excroissance de vous, mais vous, tout simplement. Le son qu'il émettra, ce sera celui de votre âme, de votre cœur, de vos tripes."

"Je savais seulement, pour avoir surpris des conversations entre adultes, que le Président était très souffrant et que son fils allait lui succéder. Le pouvoir craignait un coup de force à la faveur de l'état de santé du Président."


"« Finalement, dans un pays où la médiocrité et le banditisme s'installent avec tant d'arrogance, qu'est-ce qui est essentiel ? »"

"Mon passage en solo sur l'estrade est un moment que je n'oublierai jamais. Je l'ai vécu dans les yeux de ma mère, dans la joie et la fierté que je lisais sur son visage. Quand j'ai terminé, l'assistance s'est levée pour m'applaudir."

"Ma mère croyait dur comme fer, même si cette croyance n'a jamais été confirmée par un quelconque gain, que certains rêves sont associés à des numéros pouvant être gagnants à la borlette. Elle gardait dans un des tiroirs de sa chambre ce qu'on appelle un tyala, sorte de grimoire qui attribue un nombre à chaque chose vue en rêve."


"Monsieur Nino a eu cette réflexion : « Petit, je ne sais pas si ce pays changera un jour. Pour l'instant, évite les amis. Les amis, c'est le plus sûr moyen d'atterrir dans la prison de la police politique. »"


"« Le violon, c'est pour la musique savante, Adrien. Notre pays est un bateau qui sombre. Il sombrera longtemps avant qu'une main peut-être divine ne le remette à flot. Pendant qu'il sombre, nos femmes et nos hommes ne pensent qu'aux choses les plus triviales qui soient. Je te plains. Tu es perdu dans un monde qui n'est pas le tien. Un petit Haïtien qui rêve de devenir un virtuose du violon ! »"


"Mon père m'a dit une fois que nous voyons tout en petit et que le petit était devenu pour nous un synonyme de beauté. Notre langue nationale, le créole, emploie souvent le ti - petit - pour tout ce qui est beau. La théorie de mon père est que notre pensée aussi a pris cette petitesse et cela pèse lourdement sur nos capacités à nous attaquer à ces défis qui se posent à nous et qui eux sont loin d'être... ti."


"Nous marchâmes seulement une dizaine de minutes avant d'arriver devant une maison en bois et en tôle dont une enseigne annonçait : Le Saint-Esprit Bric-à-Brac. La religion est chez nous à toutes les sauces. Jean- Jacques a cru faire de l'humour en me lançant que « mon violon » était en de bonnes mains et qu'il avait certainement été bonifié au contact du céleste esprit."


"(...) si elle n'était pas devant sa machine à coudre, à faire la cuisine, le ménage ou la lessive – elle n'a pas de quoi employer une servante elle s'enfermait dans sa chambre pour lire. Elle se délecte des ouvrages d'auteurs populaires français du XIXe siècle comme Alexandre Dumas, Paul Féval, Michel Zévaco, tout en s'immergeant aussi dans des univers aussi différents que ceux de Victor Hugo, Dostoïevski, Émile Zola. Son roman préféré est Thérèse Raquin qui lui fit verser des larmes pendant plus d'une semaine chaque fois qu'elle me narrait une séquence du récit."

Gary Victor in Le violon d'Adrien, Mémoire d'encrier, 2023.


Pour conclure, 


+ Le bon point : Le violon d'Adrien est le récit initiatique d'un adolescent haïtien apprenti musicien prêt à tout pour un violon, un instrument rare dans un pays en proie à la dictature, à la violence et à la pauvreté. Une quête mêlant thriller, leçon de vie et culture haïtienne. Inclassable.

- Le moins bon point : 15 +. Avertissement : ce récit contient des détails à caractère sexuel pouvant heurter les plus jeunes.

* La note De Lire Délire : 19,5 /20

LE SAVIEZ VOUS ?

Gary Victor est un écrivain, scénariste et journaliste haïtien, né à Port-au-Prince en 1958. Il est l'auteur de nombreux romans, nouvelles et pièces de théâtre, qui dépeignent la réalité sociale et politique de son pays avec humour et ironie. Il a reçu plusieurs prix littéraires, dont le prix RFO du livre, le prix Casa de las Américas et le prix du Rayonnement de la langue et de la littérature françaises.


Et vous, avez-vous déjà lu Le violon d'Adrien de Gary Victor ? Ou tout autre fable sur l'opiniâtreté ?

Dans tous les cas, je vous invite à me faire part de votre avis en commentaire ou via le petit formulaire de contact situé juste en bas de cet article.


Littérairement vôtre,

Aïkà