Lu & Approuvé : Vous ne connaissez rien de moi de Julie Héraclès


Temps de lecture estimé : 2 minutes _

Ami.e De Lire bonjour,


Bienvenue dans notre rubrique Lu et Approuvé.

Avant de commencer je tiens à remercier chaleureusement l'équipe organisatrice du Prix Première Plume 2023 pour cette découverte éditoriale mémorable.

Aujourd'hui nous allons parler du roman de Julie Héraclès intitulé Vous ne connaissez rien de moi, paru en août 2023 aux éditions JC Lattès, 376 pages et lauréat du Prix Stanislas 2023.

LE SAVIEZ VOUS ?

Julie Héraclès née en 1989 à Paris est une romancière française. Elle est diplômée de Sciences Po et de l’ESSEC. Elle travaille comme consultante en stratégie. Vous ne connaissez rien de moi, JC Lattès, 2023, est son premier roman, déjà salué par la critique.

La tondue de Chartres est une photographie de Robert Capa (fondateur de Magnum 1913-1954) datant du 16 août 1944 montrant une femme tondue tenant un nourrisson dans ses bras entourée d’une foule hostile. L’épuration ayant commencé le matin, des collabos, hommes et femmes, ont été arrêtés, rassemblés et certains, sommairement exécutés. Plus tard, un coiffeur procède à la tonte d’une dizaine de femmes coupables de "collaboration horizontale". Capa apparaît à ce moment. Il immortalise les sujets humiliés avant et pendant leur exposition à la foule vindicative qui hurle derrière les grilles.*


Boche est un terme xénophobe et injurieux pour désigner un soldat allemand ou une personne d'origine allemande.* 

La misogynie est un terme désignant un sentiment de mépris ou d'hostilité à l'égard des femmes motivé par leur sexe. Dans son Dictionnaire de philosophie, Christian Godin donne deux sens au mot misogynie :« Détestation des femmes qui va de l'aversion pour leur corps au mépris pour leur comportement et leur personnalité » et « Point de vue de celui qui se refuse à admettre l'égalité entre les hommes et les femmes ».*


La tondue de Chartres*

*Source et Image : Wikipédia 


Le journal intime de Simone Grivise, "embochée" et "collabo"


Chartres, août 1944: Simone Grivise, qui a aimé un soldat allemand nazi, Otto Weiss, pendant l’Occupation doit affronter la haine et le mépris après la Libération. 

Vous ne connaissez rien de moi est le portrait d’une femme libre et passionnée, qui a vécu une histoire d’amour interdite et qui assume complètement ses choix.

Attention: Ce roman historique est librement inspiré de la photographie La tondue de Chartres, de Capa.

Pour ma part,


Voici un roman époustouflant aux thèmes aussi larges que controversés. 

Écrit à la première personne avec un registre de langage à faire fuir le plus grossier des charretiers mais dont la maitrise et la dextérité relève de la sophistication et en alternant les époques pour créer du suspense et du contraste entre le présent et le passé, l'auteure nous plonge dans le destin tragique de deux amants interdits pendant l'occupation allemande.

Mais pas que.

Le récit est avant tout l'histoire d'une famille d'après-guerre qui rêve d'ascension sociale. À sa tête, la mère Grivise qui a dû maintenir cahin-caha les affaires familiales tandis que le père Grivise, ancien soldat de la Grande Guerre se contente de vivoter dans son ombre, honteux de n'avoir jamais combattu au front avec honneur bref le genre à fuir dès que possible. Puis il y a les deux filles: Madeleine, la grande sœur dévouée et Simone, sur qui reposent tous les espoirs. En effet, Simone a droit à l'école privée, des cours particuliers en dépit d'une situation générale de plus en plus précaire.

Malgré une scolarité consciencieuse, Simone est victime de sa naïveté et de la misogynie propre à cette époque d'entre-deux guerres. Comme dans un journal intime, elle se confie et raconte, dans un langage graveleux mais libérateur dont elle a le secret, des situations difficiles et injustes. Je vous épargne les détails, vous les découvrirez en lisant le livre. 

Enfin, c'est le roman de la ruine d'un fanatisme de jeunesse hitlérienne: avec la maturité et forte de son amour pour Otto, Simone réalisera que le régime nazi, qu'elle admirait tant autrefois, n'est qu'un miroir aux alouettes derrière lequel se dissimule l'Horreur. Mais pour l'heure, il est trop tard ...

Je salue l'immense prise de risque de l'auteure en traitant le thème tabou de la collaboration pendant l'occupation allemande, un sujet à controverse à prendre avec d'infinies précautions. Un premier roman tout simplement prodigieux!

Quelques citations:

"Je sais bien que tu n'as rien pigé du tout, Maman. Tu ne peux pas comprendre que ta fille ait envie de réussir sa vie et que cette réussite passe par les études. Tu as oublié tout ça. Tu as oublié qu'un jour tu as souhaité plus que tout t'élever au-dessus de ta condition de prolétaire. Tu as oublié parce que tu t'es noyée dans la vase de ta rancœur et dans ton mauvais vin. Mais moi, je ne me tromperai pas de route, Maman. Je vais réussir."

"C'est mièvre à souhait, mais ça me fait un bien fou. Je veux croire de toutes mes forces à l'idée qu'il se fait de moi. Grâce à lui, je ne suis plus celle qui un jour a traversé la cour de son école la jupe relevée, ni celle dont les parents ont fait faillite, ni enfin la gourde qui a cru conquérir l'amour en se faisant déflorer par un connard. Mes humiliations me paraissent lointaines, elles ne me font plus mal. À leur place grandit une nouvelle Simone. La Simone qui est aimée d'Otto. La Simone qui aime Otto."

"Et là, je l'aperçois à nouveau. Le photographe. Grand, brun. Il court devant moi, il court devant Maman et Papa. Il s'arrête, il se retourne, il cadre, il cherche le bon angle. Et il appuie sur son bouton. Je baisse les yeux sur Françoise. Ma toute petite, toi seule compte. Je ne veux pas faire la une. Je ne veux pas être une vedette. Pitoyable vedette aux cheveux ras. Je veux juste qu'on m'oublie. J'avance toujours. Mais je sens qu'il continue à prendre ses satanés clichés. Il appuie, encore et encore, comme un dératé. Il veut la photo parfaite, celle qui embrasse toute la scène."

"Je ne vois rien, mais je sais qu'elle existe, cette femme qui veut me protéger. Elle me donne de la force. Je continue à marcher. Je n'ai plus peur. Je me souviens de cette matinée où j'ai traversé la cour de mon école, la jupe soulevée. Ce jour-là, vous n'avez pas réussi à broyer ma liberté d'être moi. Aujourd'hui, vous m'avez rasé le crâne, vous m'avez marquée au fer rouge et maintenant vous m'insultez comme une chienne. Mais vous ne me détruirez pas. Vous n'aurez pas cette étincelle qui me pousse à continuer, envers et contre tout. Car, aujourd'hui, encore plus qu'hier, je suis forte d'un trésor inestimable. Un trésor que beaucoup d'entre vous passerez toute une vie à chercher et n'obtiendrez jamais. J'ai aimé. Et j'ai été aimée. Alors, allez-y, dégainez vos plus belles injures, crachez vos mollards. Peu importe ce qui m'arrivera au bout de cette journée. Je vous plains, vous qui me haïssez sans savoir. Car vous ne connaissez rien de moi."

Julie Héraclès in Vous ne connaissez rien de moi, JC Lattès, 2023

Pour conclure,


+ À lire pour comprendre pourquoi et comment d'autres choisissent ou se résignent à collaborer avec l'ennemi: de la genèse de la lâcheté à la trahison suprême. Et à relire avec du recul et une grande ouverture d'esprit, juste pour écouter la voix de ceux à qui plus rien ne sera jamais pardonné.

- S'abstenir si vous êtes du genre impatient et pour éviter toute polémique: au début, pour des raisons qui lui sont propres, Simone fera l'apologie du nazisme et de l'occupation allemande avant de connaitre toute la vérité. Prévoir de bien lire jusqu'à la toute fin pour assister à son changement de pensée.


Et vous, avez-vous déjà lu Vous ne connaissez rien de moi de Julie Héraclès? En avez-vous ressenti la rage fervente ?

Dans tous les cas, je vous invite à me faire part de votre avis en commentaire ou via le petit formulaire de contact situé juste en bas de cet article.


Littérairement vôtre,

Aïkà